Sur les hautes terres de Madagascar, la carpe commune, Cyprinus carpio, est l’espèce la plus utilisée en rizipisciculture familiale. Parmi les producteurs locaux, un réseau d’environ 1 000 écloseries paysannes accompagnés par l’ONG APDRA Pisciculture Paysanne, assurent une production d’alevins accessible localement avec des techniques de reproduction semi-contrôlées en système extensif et ont une production de 4 000 à 10 000 alevins par producteur. Dans ces conditions d’élevage, exposées à la prédation par des insectes aquatiques et à un déficit d’alimentation exogène, la production d’alevins varie de 2 000 à 5 000 alevins.kg-1.femelle-1. A Madagascar, la carpe se reproduit naturellement à partir de septembre, juste au début de l’été austral, lorsque la température de l’eau atteint 22 à 25 °C. Le pic de reproduction a lieu en octobre. Ce mois coïncide normalement avec le début de la saison des pluies permettant l’arrivée d’eau dans les casiers de riz et leur empoissonnement en alevins de carpe. Cependant depuis plusieurs années, compte tenu du changement climatique, l’arrivée des précipitations est retardée de 1 à 2 mois. Dans ce contexte, des initiatives d’innovation paysanne visant à faire coïncider la production d’alevins avec l’arrivée des pluies ont été accompagnées.
Deux approches techniques ont été étudiées. La première consiste à augmenter le nombre de pontes annuelles d’une même femelle en stimulant l’ovogénèse naturelle de cette dernière. La seconde consiste à prolonger la durée de la phase de dormance des ovocytes ou la deuxième phase d’ovogenèse afin de différer la ponte. Les objectifs de cette étude étaient de 1) caractériser les pratiques d’élevage permettant de prolonger la phase de dormance des ovocytes ; et 2) d’évaluer les conditions environnementales et la physiologie de la reproduction favorisant son succès. Avec la participation de 60 pisciculteurs, un total de 420 cycles de reproduction de femelles ont été suivis entre 2017 et 2020.
La prolongation de la phase de dormance des ovocytes est bien décrite dans la littérature pour la carpe commune. En effet, une température inférieure à 17 °C permet de bloquer l’évolution des ovocytes pendant plusieurs mois avant de passer à la maturation ovocytaire puis à l’ovulation. Ce contrôle de la température en dessous de 17 °C, n’étant pas réalisable localement, les pisciculteurs ont su adapter leurs pratiques et obtenir avec succès un décalage des pontes pendant plusieurs mois à une température moyenne de 22 °C dans leurs conditions socio-environnementales.
L’utilisation de petits étangs pour stocker les femelles au début de l’hiver, facilite la gestion du stockage et la maitrise de la période de ponte. Pendant la période de stockage, les pisciculteurs évitent toute modification de l’environnement d’élevage (e.g. chocs thermiques, changement brusque de la qualité de l’eau, alimentation) qui peuvent stimuler la production de gonadotrophine responsable de la maturation finale des ovocytes et la ponte, favorisant la réussite du décalage. L’analyse multivariée des variables mesurées et l’historique des pontes a permis de démontrer, que le décalage des pontes n’est pas héréditaire chez la carpe commune. L’analyse de l’ovogénèse a permis également de mettre en évidence l’absence d’effet négatif sur la qualité des œufs et des larves issus de pontes décalées.